31/03/2009

Dans ta face

Le samedi 7 Mars, nous étions un groupe d’une trentaine de meufs, trans, gouines, pédés, tousTES féministes. Nous avons interrompus un concert en montant sur scène pour collectivement lire un texte. Pour passer un message féministe et pour faire un coup de pression en étant nombreuses, fortes et déterminéEs.

Ce texte parle de sexisme dans ce qu’on peut appeler le milieu politisé et militant, ainsi que dans les squats. Il a été écrit collectivement suite à un ras-le-bol face aux oppressions et violences sexistes quotidiennes. Cette action a été préparée par plusieurs discussions, elle a suscité questionnements et réflexions.

En tout cas, nous voulions intervenir dans le cadre d’un concert où la virilité est omniprésente tant sur scène que dans le public. C’était saisir une occasion pour s’exprimer devant un grand nombres de personnes. Quelques mecs ont tenté de perturber notre intervention par des « oï-oï », des « morues », des « féministes fascistes », des « suce ma bite », des « on a besoin d’une mère », et autres affirmations de leur virilité et de leur égo bien encré !

Elle nous tenait à coeur cette action, entre autre parce qu’il y avait beaucoup d’enjeux et aussi de l’appréhension. Nous savions que nous ne serions pas accueilliEs à bras ouverts, que porter le féminisme c’est un effort au quotidien et que dans un espace public c’est un sport de combat ! Et puis ça fait jamais plaisir d’entendre critiquer son propre milieu… Pourtant le texte a été entendu, les personnes du public ont été plutôt attentives et nous étions contentEs d’avoir occuper cet espace le temps d’une demi-heure.

Voici le texte qui a été lu pour saisir l’ampleur politique féministe de notre action. Il a été écrit collectivement, il est construit de multiples voix. C’est avant tout un message politique qui n’est pas à confondre avec des embrouilles du milieu, ni avec des rumeurs. Bonnes réflexions…


C’est une question de genres, de rôles et de vie collective. Ce texte se base sur des expériences de vie en squat sachant que certaines situations se retrouvent dans toute forme de vie collective, de milieux militants ou pas, et dans notre société. Et pour les sensibles, les propos du texte sont bien moins violents que ce qu’on peut vivre dans notre quotidien !

C’est une question délicate… parce que vivre en squat, c’est pas un choix pour tout le monde. D’une part. Mais qu’alors ceux et celles qui le choisissent, en principe, ont choisi le squat comme espace de déconstruction. D’accord. Mais alors comment ça s’fait qu’en dedans comme dehors, on r’trouve les mêmes problèmes sexistes.Dans « l’milieu », c’est juste plus subtile, plus vicieux.

« Moi j’suis un mec qui déconstruit »

OK. Alors comment s’fait-il que, quotidiennement, ma colère monte ? T’sais, ma colère monte quand t’es pire que l’bourrin du bar du coin, pire que le bourge qui me prend en stop et me fout une main sur la cuisse, pire que l’mec d’la CGT lubrique qui vient m’emmerder pendant une manif, pire que l’macho pur et dur, cash, qui prend pas d’détour pour affirmer que, pour lui, les femmes, c’est d’la viande à bourrer.

Comment s’fait-il que ta violence mal placée soit invisible au sein du collectif et m’donne envie, quotidiennement, d’envoyer chier tous les mecs, de « l’instruit-déconstruit » au « pleurnichard-victime-de-lui-même-victime-de-son-éducation-mâle », du « pédé phallocrate » qui se planque derrière ses oppressions pour pas remettre en cause celles qu’il fait subir, au « charmant proféministe » "tant qu’il la foutra" et tant qu’il trouvera des intérêts individuels (valorisation sociale, intérêts affectifs et sexuels) à soutenir les féministes. A quand l’organisation collective entre mecs pour se déconstruire ?

T’as eu un geste mal placé. Quand j’t’en reparle après, tu m’dis que tu t’en souviens pas, même si t’es d’accord que ce que t’as fait est dégueulasse… mais tu t’en souviens pas… mais tu trouves que c’est dégueulasse…mais tu t’en souviens pas. Et moi, j’passe l’éponge, parce que je t’aime… et ça m’fait chier parce qu’une confiance a réellement été cassée, alors comment ça se reconstruit, si ça se reconstruit ? Et d’ou ça vient, que j’te pardonne, aussi facilement ?

Ça s’passe pendant un évènement, y’a pas de sleeping non-mixte. T’es tout gentil, t’es tout mignon, t’es bien vu, tout le monde t’aime bien. À la fin du concert, tu te glisses dans mon sac de couchage. Tu m’pelottes, tu me squattes… j’suis la quinzième à qui tu fais l’coup. Personne te le reprochera, comme d’habitude, ça passera à la trappe. Le jour où ça parlera, le jour où mes potes voudront te péter la gueule à cause de ça, peut-être que tu te calmeras. Mes potes voudront te péter la gueule… vive les supers- héros ! On m’baillonera à nouveau, on m’effacera, on m’prendra ma place, on m’ruinera mon pouvoir de régler la question, on voudra m’défendre, avec condescendance… on m’infantilisera.

Pourquoi quand il faut causer, c’est à la nana d’embrayer le sujet, de prendre sur elle pour que ça se passe bien, de choisir les bons mots… On lui reprochera peut-être de ne pas avoir dit les choses au bon moment, de pas avoir assuré : « t’es pas la féministe que je pensais, tu m’as laissé faire, t’as rien dit ». C’est trop facile d’attendre un "non" verbal, alors qu’il y a tellement de manières différentes d’exprimer un "non", mais en tant que déconstruit, tu devrais être assez fin pour capter ça, non ?

Pourquoi quand je rentre dans une pièce où y’a déjà des nanas, tu termines pas ta blague sexiste… parce que dans ta tête tu m’as collé à moi l’étiquette féministe et pas aux autres … Tu t’surveilles en ma présence, en fonction de qui tu sais que tu vas choquer…Mais à ce moment-là tu méprises touTEs les dominéEs. Et c’est ça qui devrait touTEs nous faire réagir.

Tu comprends, mon copain macho, c’qui nous a donné envie de mettre un coup de pression ?

Parce que tu es en train de reproduire des schémas, des codes… tu veux m’apporter ton soutien pour un truc majeur à tes yeux, tu veux t’filer bonne conscience en prenant ma partie, mais alors tu oublies tes violences quotidiennes à mon égard. Tu oublies que je passe derrière toi et quand j’en ai marre de ramasser ta merde, j’te le signifie, et alors tu fais « Oh pardon, j’suis désolé, j’suis trop laï-laï… ». Et alors j’te pardonne et je devrais me bagarrer avec moi-même contre le fait que je me sens comme une oppresseuse. Tu oublies que j’te réconforte comme une mère, que tu soulignes tes efforts particuliers et que tout le monde les acclame, que j’te fais TA bouffe TON ménage dans la maison (que nous partageons ?) où tu squattes. Tu m’dis que t’es pas comme ça. Désolée. C’est à toi que je pense.

Parce que je n’ai pas de chromosome qui me prédispose à faire la récup’ et la vaisselle , quand toi, tu préserves ton petit territoire de savoir-faire : électricité-bricolage-machin = chasse gardée, territoire conquis. Visibilité du bricoleur, ta fierté gonfle, tu t’sens un homme avec ta p’tite vis dans la main ! Ton marteau en gode, ça t’ouvrirait l’esprit… penses-y.

Le travail invisible, tu connais ? Les petites mains magiques… t’as l’impression de faire plein de trucs, t’as l’impression d’en faire beaucoup. Mon impression, c’est pas la même. Moi, mes critères de l’effort au quotidien, réalises-tu qu’ils sont différents ? On part pas du même point, réalises-tu ? Les efforts que tu tentes de fournir à travers ta déconstruction, j’les fournis quotidiennement et en triple depuis mes sept ans. Les chiottes, ça te dit de penser à les récurer ? Et ferme la porte quand tu pisses… Et encore, on te demande même pas de t’asseoir…

Tu prépares la révolution, tu vas au front, tu t’appropries le totoïsme, tu veux niquer l’fachisme étatique, mettre à terre ce bon vieux système d’oppressions… Et autour d’un verre de vin, te v’là grande gueule, besoin d’valorisation dans « l’milieu » et, désinhibé, tes gardes-fous éclatent, tu r’dégringoles, tu fais une blague sexiste, mais c’est pas grave, « c’est du second degré », et puis d’toute façon, y’a plus important, y’a plus sérieux, « putain les flics on les a bien enculés ! ». Et puis tant qu’on y est, pour ceux qui se permettent de se proclamer anti- féministes dans le milieu, tu ferais mieux de t’afficher aussi homophobe et transphobe, au lieu de lancer des vieilles blagues et de t’étouffer comme un imbécile.

C’est vrai que depuis ta position de privilégié-dominant, tu peux t’permettre de déconner sur des trucs qui te semblent moins politiques, des trucs qui te touchent pas, des trucs dont t’es à l’abri de part ta classe sociale.

Le racisme comme le sexisme et le spécisme font partie de mécanismes d’oppression intégrés par nous touTEs, et ça nous fout la beuge ! Quand une nana arabe et d’origine prol est agressée à une soirée, nous n’arrivons pas facilement à admettre qu’il s’agit d’un comportement raciste au sein de notre milieu et développons immédiatement des solidarités blanches. Ça montre bien qu’il existe des inégalités sociales dans le milieu dont le racisme intégré et que nous avons vachement de travail pour le reconnaître et en tirer des conséquences.

Parlant de mécanismes intégrés, on n’est pas assez connes pour pas voir l’homophobie intériorisée et aussi que y’a une différence entre la pédéphobie et la lesbophobie (dans l’imaginaire masculin, les nanas qui s’embrassent pour exciter les mecs, le culte de la fausse lesbienne). Parce qu’on sait très bien que deux pédés qui s’embrassent, ça rentre pas dans l’imaginaire des fantasmes des mecs hétéros… quand est-ce que tu te rendras compte que ton imaginaire a AUSSI été colonisé, crétin ?

Le meuble agréable à l’oeil, la plante verte sensible, pratique, polie et peu encombrante…

« Et puis d’abord, qu’est-ce qu’ils t’ont fait les hommes ? »

C’est une question de s’faire avoir et d’le réaliser après coup. C’est la différence entre un relou de base et un mec qui s’dit en processus de déconstruction. Quand le mec fait un coup bas, par en dessous, sans réaliser que… C’est avoir l’impression de faire des concessions sur ces violences sexistes, d’en arriver à s’exclure, à s’foutre les boules sous silence, une violence qui n’est pas évacuée au bon moment, mal gérée, qui éclate là où ça faut pas. C’est l’impossibilité d’exprimer sa colère au bon moment, ou bien la réaction du mec qui va pas prendre la colère comme une critique, comme une remise en question de sa connerie, et finir par se retrouver dans la position de la relou d’service. C’est la solitude en embrouilles, la non-reconnaissance de la justesse de sa colère et de son ressenti, jusqu’à ce qu’on nous traite de misandres ou d’hystériques.

C’est la question d’une violence quotidienne qui me renferme, me bouffe, me mène à perdre confiance en moi, dans le collectif et le comportement de certaines personnes.

J’en ai pas contre toi, c’est ton comportement qui m’fait gerber. J’ai pas envie d’taire ma colère. Plus envie d’faire des concessions.

Tu t’plains de ta déconstruction, tu dis que c’est dur, vu que tu dois abandonner tes privilèges… C’est dur, mon cul ! Ta gueule et continue. Et si jamais j’te reprends à vouloir me mettre dans le rôle de l’oppresseuse, permets-moi de douter de la sincérité de ton désir de t’déconstruire. Quand tu m’fais me sentir mal de t’avoir engueulé pour un comportement mal placé de ta part, ça m’fait douter que t’aies envie réellement d’larguer l’Homme en toi.

Nous sommes nombreuses à ressentir cette colère. Nous ne sommes pas beaucoup à l’extérioriser ouvertement, en dehors de la non-mixité. Combien d’nanas qui tempèrent, écrasent, ou s’mettent tout simplement du côté des mecs. On parle de comportements… faut te foutre ça dans la tête.

Et quand j’m’énerve et que tu m’dis de m’calmer , quand j’tape dans l’matériel urbain et que tu m’lances : « faut pas s’énerver comme ça ! »… ne m’dis pas de m’calmer, ne me dis surtout pas d’me calmer… dis-moi que ça te choque, que ça te dérange, que ça te peine ou que ça te brusque. « Ouais, la meuf qui défonce le matos, elle est vénère, là, j’sais pas pourquoi… » Tu sais pas pourquoi et d’ailleurs, tu t’en fous, alors ne m’dis pas, en plus, de m’calmer, parce que j’vais avoir envie de t’éclater.

Et ce qui m’énerve encore plus c’est tes solidarités systématiques et mal placées avec d’autres mecs : celles où tu prends la défense d’un pote pendant une embrouille causée par une agression, celles où tu es au courant d’une agression (et un des seuls à l’être) et où tu fermes les yeux, celles où tu mets en place une solidarité avec un violeur ou un oppresseur en disant que c’est pas cool de l’exclure, celles où tu fais semblant de pas voir une personne pendant une discussion, en lui coupant la parole ponctuellement, ou en lui demandant jamais son avis si cette personne ne dit rien ; et si elle ose, si elle casse l’ambiance, « tiens v’là la fouteuse de merde »…, celles où tu ne veux pas entendre les ressentis de ta pote parce que ça va à l’encontre de tes propres intérêts,… et on ne parle pas de toutes les micro-solidarités au quotidien, la liste est trop longue et t’es forcément concerné !

Et quand tu t’retrouves désarmé face à ma colère, t’essaies de retomber sur tes pattes, tu t’justifies, tu te mets à pleurer, tu manipules mots, théorie et réalité, tu t’énerves, tu te sens obligé de t’excuser : " je suis désolé MAIS (tu essaieras toutes les tactiques de MAIS, jusqu’à ce que je m’épuise…) …". PRENDS SUR TOI, BOUFFON, arrête de dire qu’il y a pire que toi !

Tes batailles de coq, y’en a marre ! Ta grande gueule de bourrin bourré, y’en a marre ! ferme-la, assieds-toi et écoute les autres.

Être tout le temps disponible pour écouter ou baiser, attendre que t’aies compris ou recadrer, y’en a marre ! Grève de la disponibilité ! On débraye ! Nous avons mieux à faire ! Cette action est un appel à la solidarité entre femmes, gouines, trans, pédés féministes, pour que plus rien ne passe !

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