22/10/2008

les femmes s'entêtent

Ce texte est extrait d'un livre publié en 1975.
Je n'ai pas eu le temps de tout recopier, en voici déjà une partie :

UN VIOL SI ORDINAIRE,
UN IMPERIALISME SI QUOTIDIEN

Maï

C’est à la rentrée de septembre l’année dernière que j’ai appris par des affiches que les travailleurs immigrés d’un foyer de mon quartier étaient menacés d’expulsion. Un comité s’était formé pour lutter contre l’expulsion. Il comprenait des occupants du foyer qui constituaient le comité de lutte et des sympathisants extérieurs, comité de soutien – certains habitant le quartier, certains appartenant à des organisations politiques de gauche : P.S., P.C., P.S.U., à des organisations révolutionnaires, d’autres libéraux ou apolitiques…
« Il » faisait parti du comité de soutien, extérieur donc au foyer comme moi. Il est originaire d’un pays qui est une colonie française, Martiniquais ou Guadeloupéen ? et je suis d’origine vietnamienne vivant en France. Nous avons vécu l’un et l’autre sous tutelle étrangère dans nos pays d’origine et avons subi des deux côtés le colonialisme.
Par ailleurs, je fais remarquer que je ne suis pas d’une origine sociale aisée : mon père était ouvrier, et je fais partie d’une famille nombreuse. Je travaille dans un bureau. Selon la hiérarchie sociale, je n’ai pas la « qualification » pour faire partie de l’élite de cette société : bourgeoise, intellectuelle… Le type était un étudiant, c’était tout ce que j’ai su de lui.
Nous avons sympathisé parce que nous avions des points de vue communs sur l’impérialisme, et sur la lutte de libération de nos pays d’origine respectifs. En ce qui me concerne, il prit l’initiative de faire ma connaissance au cours d’une réunion au foyer en me disant : « j’aimerais discuter avec toi sur le Vietnam, car je crois que tu es vietnamienne. La lutte du peuple vietnamien contre l’impérialisme est une riche expérience pour les pays qui sont encore sous domination étrangère… » Intéressée, j’ai accepté de bonne foi et j’ai conclu : « on se verra après la réunion. »
A la sortie de cette réunion nous sommes allés au café pour discuter. On ne discuta pas très longtemps de ce sujet et je me rendis vite compte que la recherche d’une discussion sur le thème évoqué n’était qu’un bon prétexte pour me draguer.
Il prit ma main, la trouvant « chaude », rapprocha sa chaise de la mienne et tenta de m’embrasser. Gênée, je n’osais pas le repousser brusquement. Je lui fis comprendre que je n’acceptais pas ses avances en retirant sans cesse ma main de la sienne et le repoussant dans sa tentative d’embrassade. Mais il insista malgré tout, car il devait se dire « elle finira par être d’accord ». J’engageai alors une discussion avec lui à propos de la drague des femmes, en lui faisant remarquer que, pour draguer, les hommes trouvent des tas de prétextes pour approcher les femmes dans l’intention de les « baiser », lui citant mon exemple : il me draguait sous prétexte de discuter du Viêt-Nam, et trompait donc ma confiance ; et je lui fis observer que les femmes sont considérées comme des objets sexuels par les hommes (vieux refrain que tout le monde connaît pourtant), et qu’ayant un point de vue révolutionnaire sur les luttes de libération contre les forces oppressives il devrait tenir compte de l’oppression spécifique des femmes dans la société actuelle.
Il me fit comprendre que, d’une part, il n’y a pas d’antagonisme entre les hommes et les femmes en ce qui concerne la sexualité, que je devrais dépasser ce point de vue (la femme objet sexuel) : « la sexualité est libératrice, et il ne faut pas se laisser aliéner par le militantisme » (sic) ; que d’autre part, l’oppression des femmes est dans l’oppression de classe – vieux refrain que les guerriers de classe vous chantent lorsque les femmes se plaignent d’être des opprimées, quelque chose comme « ne t’en fais pas ma nana, la révolution au centuple te le rendra » (c’est le refrain d’une des premières chansons écrites dans le Mouvement de Libération des Femmes).
Je compris après ses explications que : premièrement, la sexualité entre les hommes et les femmes n’était pas un problème politique s’intégrant dans les problèmes de classes, pour lui il était inexistant : c’est un phénomène indépendant puisque c’est un besoin élémentaire physiologique qu’il ne faut pas négliger après « avoir lutté pour la Révolution » par exemple – le repos du guérillero – et si je me considère encore comme un objet sexuel c’est que je suis arriérée sur ce plan. Deuxièmement, quand à la libération des femmes, elle se fera d’elle-même après la libération des classes opprimées. Les femmes doivent par conséquent prendre patience jusque-là car on ne négligera pas de nous libérer après la révolution – en vertu du grand principe que la lutte principale prime la lutte secondaire. Si les hommes oppriment les femmes c’est la faute du Capital qui profite d’eux, ainsi de suite…
Réponse marxiste donnée systématiquement par les militants aux femmes qui s’interrogent sur le pourquoi de leur oppression dans la société capitaliste et comment lutter contre. Mais cette réponse n’est applicable qu’aux femmes prolétaires car ils disent : « l’ouvrier opprime la femme (sa mère, sa femme ou sa fille) parce qu’il est opprimé par son patron. » Quant aux femmes bourgeoises, n’ayant pas les mêmes conditions de vie que celles des femmes prolétaires, elles ne sont pas reconnues. Mais nous savons que, d’après les « valeurs sociales », les femmes ne sont pas reconnues que par le statut social de l’homme, mari ou père : « c’est la femme ou la fille d’un tel. » Dans les deux situations nous sommes leur propriété1. La classe dominante divise les exploités par sa hiérarchisation sociale ; le patriarcat divise, lui, les femmes entre elles : les femmes de prolétaires et les femmes de bourgeois.

Par ailleurs, il trouva normal que les hommes prennent l’initiative de faire la cour aux femmes puisque celles-ci ne la prennent pas. Il faut que l’un des deux fasse le premier pas (et il se trouve que ce n’est jamais la femme).
Cette première entrevue, il la considéra comme une première étape, un accord qui devait lui donner ensuite le droit de me « baiser » malgré moi, puis il la qualifia de flirt devant le comité le jour de l’intervention des femmes du M.L.F. venues dénoncer mon viol. Pourtant, je m’expliquais avec lui sur les points de la drague des femmes et de l’oppression de celles-ci, qui me conduisaient au refus de sa politique masculine à l’égard des femmes. Notre dialogue était calme et détendu, c’était ainsi que j’ai réagi face à lui, dès que je m’aperçus qu’il me draguait. On me reprocha, par la suite, de n’avoir pas su m’y prendre. J’aurais pu, par exemple, me montrer plus brutale afin de me faire comprendre.
L’homme drague, qu’importe le lieu et la circonstance, que ça marche, ou que ça ne marche pas, il s’impose le premier, et c’est sur le terrain de l’homme que la femme décidera d’accepter ou de refuser. N’est ce pas une forme d’impérialisme ?
Par la suite, il tenta de me revoir mais chaque fois je refusais. Il se découragea à la fin et ne me demanda plus rien au cours des réunions suivantes.
Je ne le vis plus au comité pendant un certain temps : on en blaguait ensemble avec deux autres copines. Il les avait également draguées, sous d’autres prétextes, politiques évidemment ! : expulsion du foyer, Viêt-Nam, et autres sujets destinés à nous tromper.
Un jour, il frappa chez moi. Je le fis entrer car je ne pouvais faire autrement tout en lui faisant plus ou moins confiance : je me disais, d’abord qu’il avait compris que j’avais refusé d’établir avec lui des liens amoureux, ensuite qu’il avait peut être une information précise à me donner concernant l’expulsion du foyer. Nous échangeâmes les nouvelles, et je lui fis remarquer que je devais me dépêcher de dîner pour aller à une réunion. C’est au moment de partir, qu’il « passa à l’offensive ».
Il me força à l’embrasser, je le repoussai, et très enervée, j’étais décidée à me faire clairement comprendre. Je lui dis : « Tu sais, j’en ai assez de tes manières, et je ne suis pas la seule », et j’ai dit de qui il s’agissait : les deux autres copines qu’il connaissait bien. « Qu’est ce que ça veut dire, me répondit-il, ce n’est pas parce que les deux autres le pensent que tu dois faire pareil, c’est du “suivisme imbécile“ ! – Comment du suivisme, je ne suis pas apte moi-même à juger de ton attitude de dragueur ? »
A partir de ce moment, je me mis à contrer son point de vue sur la situation des femmes et son attitude de dragueur, en les jugeant « impérialistes » : en effet, il me forçait à lui appartenir malgré moi, comme fait un impérialiste agresseur dans un pays étranger qu’il veut posséder ; et j’établis le parallèle entre l’oppression subie par les femmes et celle subie par les peuples colonisés dans les termes suivants :
• Les hommes profitent des femmes comme l’impérialiste exploiteur profite du pays colonisé.
• Sur le plan sexuel, ou bien les femmes sont mystifiées par l’idéologie bourgeoise et elles se font objets sexuels « au service des hommes », ou, si elles décident de sortir de cette mystification en luttant « contre l’oppression » elles sont encore considérées par les militants de gauche comme des sexes consommables. D’un côté comme de l’autre, ils nous plient à leurs désirs.
• Par ailleurs, les femmes sont, par rapport aux hommes, surexploitées et elles sont sous-représentées socialement. La majorité d’entre elles ont des tâches subalternes et négligées par les hommes : à la maison, au travail, jusque dans les tâches militantes. La sous-qualification des femmes est très rentable, comme le travail des travailleurs immigrés. Les postes de direction de ce monde, elles ne les détiennent pas et ne sont en aucune façon à l’origine de leur création.
• Les pays riches se développent au détriment des pays colonisés par l’accumulation de richesses qu’ils leur ont retirées et font fructifier. Les hommes se développent au détriment des femmes en acquérant des connaissances pour créer.
Les femmes ne créent pas, sinon des enfants, l’unique créativité qui leur est reconnue. Elles n’ont pas conçu à l’origine ni dans l’art, ni dans la musique, la science, la technologie, l’industrie, le commerce, etc. C’est pourtant grâce à leurs ventres que toute société peut exister, elles en constituent la base. C’est à partir de ce qu’elles ont mis ou qu’elles pourront mettre au monde que l’on décide (les hommes décident) de « la politique », du mode de production et de sa défense. On planifie leur fécondité, comme on planifie un territoire dans l’espace et dans le temps. L’aspect principal est ce que font les hommes, qu’ils soient fascistes ou révolutionnaires, c’est ce qu’ils jugent bon et bien pour l’humanité entière, selon des critères différents, dans des situations historiques données. L’aspect secondaire c’est ce que sont les femmes dans la situation découlant de ces faits historiques.

1 Cf. Engels in « Origine de la Famille, de la propriété privée et de l’Etat », Ed Sociales, pp. 71- 72

3 commentaires:

Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
combiendefois4ans a dit…

Et un petit coup de ciseaux, un !
D’un simple clic, un monceau d’idées nauséabondes disparaissent !
CLIC ! CLIC !
COUIC !

Anonyme a dit…

Un texte très juste qui renforce ma position de féministe et donne de bons arguments contre ceux qui se voilent la face.