01/01/2009

Société pro-viol et notion de consentement

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Société pro-viol et notion de consentement

Introduction

Personne n'est pro-viol, et pourtant, le viol existe.
Personne n'est pro-viol, et pourtant, le viol est courant.
Personne n'est pro-viol, et pourtant, quand on a été violéE, ça reste à prouver.
Personne n'est pro-viol, et pourtant, quand on a été violéE, on l'a sans doute un peu cherché.
Personne n'est pro-viol, et pourtant quand on a été violéE, on est seulE.
Personne n'est pro-viol, et pourtant, quand on a été violéE, on doit se taire.
Personne n'est pro-viol, et pourtant, quand une histoire de viol devient publique, les prétextes pour ne pas réagir et cautionner le viol ne manquent pas.


Cette brochure ne se veut pas une étude théorique poussée. Elle est juste une sorte de compilation de plusieurs écrits et réflexions féministes, ainsi que des observations et expériences de plusieurs années de luttes féministes, notamment en étant confrontée à des situations de viols. Rien de nouveau, pas de grandes découvertes, mais juste une tentative de créer un outil, comme le sont pas mal de brochures sur cette question.
Parmi les évènements et discussions qui m'ont poussés à l'écrire, il y a la triste impression qu'à chaque fois que nous nous trouvons face à une tentative de réaction après un viol, ou simplement confrontéEs à la visibilisation d'une situation de viol, on se heurte aux mêmes arguments, aux mêmes justifications, y compris dans les milieux libertaires.
Il est inacceptable que des discours ou pratiques relevant d'un positionnement d'oppresseur puissent être tolérés ou justifiés dans des milieux où on revendique le fait de lutter contre toute forme de domination de classe. C'est une question d'intégrité politique.

Caillou

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sommaire


1ère partie: Société pro-viol

1) Définitions

2) Exemples, parallèles et applications
A) Publicité, musique, cinéma
B) Possession du corps par les instances juridiques, médicales et psychiatriques
C) Dans la rue et la sphère publique en général

3) Mécanismes du double-viol
A) Culpabilisation de la personne violée concernant son rôle dans l'agression
B) Culpabilisation de la personne violée concernant une réaction potentielle

4) Rôle des clichés et stéréotypes du viol
A) Fréquence
B) Image du violeur
C) Contexte

5) Rôle de la notion de victime


2ème partie: Notion de consentement

1) Définition

2) Construction de classes et histoire collective des corps

3) Rôle de la notion d'évidence
A) L'évidence hétérosexuelle
B) L'évidence de la sexualité génitale et du contexte


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1ère partie: Société pro-viol

1) Définition

La société pro-viol pourrait être définie comme un ensemble de pratiques, de réflexions, de fonctionnements qui créent un climat propice au viol. C'est un système politique qui construit et enferme des personnes dans le rôle de victimes potentielles ou dans le rôle d'agresseurs potentiels.


2) Exemples, parallèles et applications

A) publicité, musique, cinéma

Les exemples de manifestation de la culture pro-viol dans ces domaines sont très nombreux et il n'est plus à prouver que ces domaines sont d'excellents outils de propagande de la culture dominante. Je n'en citerais que quelques uns:

- Il y a quelques années, un fabricant de chocolats avait sorti une série de pubs où, juste en dessous d'une photo de femme, on pouvait lire: « elle dit non, on entend oui ». Cette publicité avait provoqué l'indignation de nombreux groupes féministes qui avaient menés des campagnes de lutte pour son retrait. A noter, même parmi ces groupes, peu d'entre eux avaient également soulevé son aspect raciste (la couleur de peau des femmes représentées correspondait au type de chocolat).

- Dans la chanson française, on retrouve cette même idéologie. Michel Sardou, (éminent porteur de la pensée réactionnaire, c'est vrai, mais quand même...), dans une chanson sur l'envie de transgression où il décrit en gros comment il rêve de faire plein de trucs, dit: « j'ai envie de violer des femmes », juste après avoir dit qu'il grillerait bien un feu rouge en bagnole pour voir comment c'est grisant. Johnny Halliday, lui, nous explique comment il a buté sa femme parce que comme ça, au moins, leur amour sera éternel, c'est ça la passion. C'est d'ailleurs une des chansons très demandées par des hommes pour la dédier à la femme qu'ils aiment dans les émissions de radios où les auditeurs appellent et font des dédicaces.

B) Possession du corps par les instances juridiques, médicales et psychiatriques

Le fait de refuser le droit à unE individuE à disposer de son propre corps se retrouve dans bien des domaines et a diverses conséquences, c'est un instrument de contrôle politique énorme.

A propos de la psychiatrisation des trans. A partir du moment où on colle sur quelqu'unE l'étiquette « malade mentalE », on nie sa capacité à pouvoir faire des choix, à s'exprimer et à avoir un avis sur lui/elle-même puisqu'on considère qu'étant directement concernéE, il-elle n'est pas objectifVE et que tout ce qu'il-elle dit peut être un symptôme de sa pathologie. Donc, l'Etat, par le biais du corps médical et psy, peut décider à la place d'une personne ce qu'elle est, ce que doit être son corps et ce qu'elle doit en faire.

A propos de l'interdiction de la prostitution. En criminalisant la prostitution dans son ensemble, ce n'est pas l'exploitation des personnes prostituées par d'autres sans l'avoir choisi que l'Etat condamne (d'ailleurs, dans une société capitaliste, l'exploitation n'est pas illégale, elle fait partie intégrante de la société), mais bien le travail du sexe. On balaie d'un revers de la main la question du choix en répandant l'idée que les prostituées sont toutes contraintes, que celles qui travaillent pour elles-mêmes n'existent pas. Il est hors de question qu'une personne fasse de son corps, notamment sur le plan sexuel, ce qu'elle veut, encore moins qu'elle l'assume au point d'en faire son métier. Ce qui choque quand une personne a décidé de vivre de l'utilisation de son propre corps, c'est que non seulement, c'est elle qui l'a décidé, mais en plus, c'est elle qui en profite. La prostitution choisie est une façon de soustraire à l'oppresseur le fruit de l'exploitation, ce qui, bien-sûr, est intolérable

C) Dans la rue et la sphère publique en général

Dans la rue ou dans la sphère publique en général, quand des lesbiennes ou des gouines visibles sont présentes, les agressions sont fréquentes. Elles peuvent relever de l'attaque physique, de l'insulte, ou encore, se manifester par l'interposition d'un homme hétéro dans la relation. Là encore, il est inacceptable que des personnes que l'on considère comme étant une sous-classe se soustraient à l'appropriation de l'oppresseur, en vivant entre elles, sans berger.
De même, une personne étiquetée femme mais n'ayant pas déjà un propriétaire est perçue comme appropriable, et donc, abordable. L'idée qu'elle puisse s'appartenir à elle-même n'existe pas.


3) Mécanismes du double-viol

Le processus du double-viol est l'ensemble des comportements et réactions qui vont enfermer une personne ayant subi un viol dans ce qu'elle a vécu. Lorsqu'une personne qui a été violée parle de ce qu'elle a vécu, elle se heurte à toute une série de réactions qui ont pour fonction de la culpabiliser, et du coup, de la faire taire en la renvoyant dans son statut de victime silencieuse.

A) Culpabilisation de la personne violée concernant son rôle dans l'agression

Les questions sur l'habillement sont très fréquentes. Si la personne qui a été violée était en jupe, l'avis général est « qu'elle l'a bien cherché ». Il y a quelques années, en Italie, un juge avait refusé de reconnaître un viol sous le prétexte que la plaignante portait un jean et qu'il en concluait qu'elle était forcément consentante, un jean n'étant pas facile à retirer. On questionne également souvent sur le comportement de la personne violée ( si elle fait du stop seule, si elle sort tard le soir seule, on en conclut qu'elle s'est mise volontairement en danger, si elle était proche de l'agresseur ou qu'elle était dans le même lit, on en conclut qu'il n'y a pas eu viol ou qu'elle en est responsable puisqu'elle a « dragué l'agresseur » ).

Très souvent, le discours de l'agresséE et celui de l'agresseur sont mis sur le même plan, on parle d'entendre avec impartialité les deux plans subjectifs et d'en faire une synthèse objective. Ce traitement d'une situation de viol sous-entend:
1- Que le viol n'est pas une situation d'oppression mais une sorte de conflit, autrement dit, que les deux personnes impliquées y ont une responsabilité, donc, non seulement on rend l'agresséE responsable, mais en plus on diminue la responsabilité de l'agresseur (« si il-elle avait dit non un peu plus fort ou plus clairement, il l'aurait peut-être lâchéE »).
2- Qu'on n'est pas certainEs que le viol ait eu lieu. Il faut des preuves, des détails, une justification, si l'agresseur nie, c'est la parole de l'agresséE contre la sienne.

Dans les milieux catholiques, il y a l'argument de la confession. La famille d'une jeune femme qui avait été violée par son oncle lui a dit qu'elle demeurait la seule fautive puisque son oncle, contrairement à elle, s'était confessé et avait donc été pardonné par Dieu.

B) Culpabilisation de la personne violée concernant une réaction potentielle

Une fois que la personne violée a rendu public le viol, il y a la question de la réaction. La décision du type de réaction est rarement laissée à son appréciation, voici quelques exemples des nombreux jugements et reproches fréquemment observés qui participent au processus de double-viol:

- Si la réaction souhaitée est une réaction de type juridique: Le système judiciaire est fait de telle sorte que l'agresséE se retrouve face à un véritable parcours du combattant, parfois, l'épreuve de la déposition suffit à dissuader. Dans les milieux libertaires, d'extrême-gauche et anti-carcéraux, on accuse souvent l'agresséE de pactiser avec la justice bourgeoise.

- Si la réaction souhaitée est une réaction de type collective (type éviction de l'agresseur): De nombreuses personnes vont refuser de soutenir l'agresséE en argumentant de plusieurs façons. Il y a l'argument du privé, elles ne s'estiment pas concernées (le viol est ramené à une simple situation de conflit), il y a l'argument de « la prise d'otages » (en leur demandant de réagir, la personne ayant subi un viol les prendrait en otage), la personne violée est alors considérée comme « celle par qui le scandale éclate ». Dans les milieux libertaires-extrême-gauche,etc, il y a parfois l'argument « du refus de la victimisation », c'est-à-dire que puisqu'on considère que la victime doit déconstruire son rôle, on dit que c'est à elle de réagir, ou au contraire, la victimisation de l'agresseur (« le pauvre, où va-t-il aller? Que va-t-il devenir? Il souffre, lui aussi.. »), ce qui place la personne violée dans le rôle du bourreau. Dans ces mêmes milieux, les personnes refusant de réagir en soutenant une personne violée se justifient parfois en comparant une éventuelle réaction à un tribunal populaire, la personne violée se retrouve cantonnée au rôle d'accusateur-trice et les personnes qui la soutiennent au rôle de juge, (ce qui, au sein de groupes de personnes qui remettent en cause le système politique en place est connoté de façon très péjorative) or, reproduire la justice bourgeoise consisterait plutôt à demander des preuves, à comparer les versions des faits, là, effectivement, on pourrait parler de simulacre de tribunal, il faudrait également que les réactions collectives s'apparentent à des punitions, alors que généralement, il s'agit plutôt,en éloignant l'agresseur, de protéger la personne violée.

- Si la personne violée réagit physiquement face à son violeur, elle sera considérée comme violente, là encore, elle se retrouve placée dans la position de bourreau et l'agresseur est victimisé. La notion d'autodéfense (sur le moment ou a posteriori) est rarement acceptée.

- Si la personne violée réagit silencieusement, on mettra en doute les faits.

Dans tous les cas, on peut évoquer également le climat de silence, de gène et de tabou qui pousse la personne violée à se taire.


4) Rôle des clichés et stéréotypes du viol

A) Fréquence

Le viol est souvent présenté comme un fait rare, ce qui permet de le détacher de la réalité, de faire croire que ça n'arrive pas, mais également de briser la conscience de classe (si le viol est un fait isolé, il ne relève pas d'un système d'oppression).

B) Image du violeur

Le violeur est dépeint comme un malade, ou un alcoolique violent au premier abord, autrement dit, une personne considérée comme normale ne peut pas commettre un viol.

C) Contexte

Un viol est censé être commis par un inconnu dans une ruelle sombre avec une arme ou après un passage à tabac. Cette vision innocente les proches (or, la majorité des viols sont commis par des proches)et hiérarchise les viols, il aurait les viols graves (avec passage à tabac ou menace avec arme) et ceux qui n'en sont pas, de même, s'ils sont commis dans un contexte privé (ce qui est majoritairement le cas), ils ne sont pas crédibles.


Depuis quelques années, un nouveau stéréotype est apparu. Les viols seraient commis essentiellement dans certaines cités. Ce stéréotype a la double fonction d'une part de criminaliser les cités en questions et d'en justifier la répression, d'autre part, de dédouaner le reste de la population.


5) Rôle de la notion de victime

Dans le système de classes de genres et liées à l'orientation sexuelle, les sous-classes sont considérées comme victimes potentielles permanentes, c'est-à-dire qu'on les étiquette comme telles et qu'on leur interdit de sortir de ce rôle. Dans le même temps, on ne les reconnaît pas comme étant « victimes de » si elles sont violées, puisqu'elles sont considérées comme des victimes par essence.


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2ème partie: Notion de consentement


1) Définition

Le consentement peut être défini comme un accord dans le cadre d'une relation à l'autre basée sur l'échange, le partage, il inclut la notion du « faire ensemble ». Il n'est pas juste une absence de « non ».


2) Construction de classes et histoire collective des corps

La construction sociale est le ciment de l'oppression. Pour qu'un rapport d'oppression existe et se maintienne, il faut des oppresseurEs et des oppresséEs, les unEs étant subordonnéEs aux autres, et les deux parties, enfermées dans leurs rôles respectifs.
L'histoire collective des corps fait partie de la construction du rapport de classes. On construit -à grands coups de représentations sociales, de répression et de violence- l'image qu'une personne a de son corps: disponible pour les autres, inaccessible pour elle-même, monstrueux, honteux, sale, difforme, objet de plaisir parfois, mais jamais sujet. Ce qui signifie que, dans le cadre d'une relation entre deux personnes n'appartenant pas à la même classe, la difficulté de verbalisation de son propre désir et de l'appropriation de son propre corps n'est pas la même. Donc, l'expression et la notion même de consentement n'est pas suffisante, la recherche d'un mode de relation égalitaire inclurait plutôt la notion de volonté exprimée, ce qui nécessite un travail important de déconstruction, l'oppresséE étant construitE comme non seulement n'ayant pas le droit de dire « non », mais également comme n'ayant pas appris à verbaliser ses propres désirs, il-elle est censéE vivre en fonction de l'autre.

3) Rôle de la notion d'évidence

A) L'évidence hétérosexuelle

Dans la société HétéroPatriarCapitaliste, l'hétérosexualité est présentée comme le seul modèle. Autrement dit, c'est évident, si on naît avec tel détail anatomique, on est un homme, si on naît avec tel autre détail anatomique, on est une femme, dans les deux cas, on le restera, et une femme, c'est fait pour appartenir à un homme, il n'existe rien d'autre, donc, même si les rapports genrés sont glauques, on n'y échappe pas.

B) L'évidence de la sexualité génitale et du contexte

Le modèle classique d'un rapport sexuel, c'est: des caresses en guise de préliminaires, puis, un rapport de pénétration, rideau, fin de l'histoire. Là encore, c'est évident, donc, on ne demande pas l'avis de l'autre. Dans cette image du rapport qui sert de modèle de construction à une majorité de personnes, il n'y a pas de place pour le « non », pas plus qu'il n'y a de place pour construire autre chose d'ailleurs. Rien que l'existence de ce modèle participe à la construction et au maintien de la situation du viol. En effet, un modèle est fait pour être suivi, du début à la fin de la situation, il n'y a pas d'interruption possible, et s'il y a mode d'emploi, il y a évidence, donc, pas de nécessiter de dialogue. L'évidence chasse la possibilité de verbaliser le refus, mais également le désir.

Ailleurs que chez les hétéros, l'évidence crée par le modèle fait également des dégâts. Lors d'une discussion sur les lieux de drague et de baise gays, plusieurs personnes ont dit avoir subi des rapports non consentis qu'ils expliquaient par la confusion entre « consommation d'un rapport sexuel » et « consommation de l'autre dans un rapport sexuel ». Ils parlaient d'un climat d'évidence: « on est là pour ça, le reste, c'est des formalités, le pas-comme-ça, le pas-sans-capote ». Ils ne posaient pas ce climat d'évidence comme perpétuel et communs à touTEs les individuEs et à tous les lieux de drague, mais comme un travers parfois rencontré.

C) L'évidence de la déconstruction

Dans les milieux politiques qui remettent en cause et luttent contre les rapports d'oppression, il y a parfois une sorte de climat de « ici, c'est la totale déconstruction, ça y est, on a aboli les rapports d'oppression entre nous », niant le fait que ce n'est pas parce qu'on remet en cause les rapports de domination que ça nous empêche de les reproduire. Ce climat rend difficile, pour les personnes ayant subi un viol la visibilisation, voire, sert d'alibi au violeur (S'il fait partie d'un milieu où tout le monde est déconstruit, il ne peut pas être un violeur). Les exemples sont légions, mais j'en citerais un qui m'a particulièrement marquée: Lors d'une soirée dans un squatt, alors que des féministes réagissaient aux propos tenus par un mec présent dans un texte qu'il avait écrit qu'elles considéraient comme pro-viol, une personne leur a demandé d'aller râler ailleurs, puisque « enfin, on est dans un squatt ici, les mecs ne sont pas sexistes, d'ailleurs, regardez, il y en a plein qui ont les cheveux longs. ». Ce jour-là est né le concept de déconstruction capillaire... sans commentaire. Durant cette même altercation, une autre personne invita les féministes à un débat sur le sexisme dans les banlieues en leur expliquant que c'était là-bas qu'il y avait du travail à faire.

La notion d'évidence parasite le concept de consentement, elle permet parfois le viol, et maintien presque toujours les personnes victimes de violences dans le silence. Le tabou qui entoure le viol et les violences conjugales est un outil de répression colossal, car comment aborder quelque chose qui n'existe pas?

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